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[Tribune] Industrie en France : le sursaut ou disparaître

A l’occasion de la conférence de presse emploi du Leem, l’organisation professionnelle des entreprises du médicament opérant en France, Alexandre Saubot, Président de France Industrie et Thierry Hulot, Président du Leem, cosignent une tribune.

« Industrie en France : le sursaut ou disparaître

Le dernier baromètre industriel de l’État l’a confirmé : au premier semestre 2025, la France a enregistré presque deux fois plus de fermetures d’usines (82) que d’ouvertures (44). Ce n’est pas une statistique de plus, c’est un électrochoc. Le signe qu’un pays autrefois pionnier et moteur industriel de l’Europe est à nouveau en train de décrocher. Et ce décrochage pourrait devenir irréversible si nous ne prenons pas, dès aujourd’hui, les décisions qui s’imposent pour préserver l’industrie de demain.

Ces signaux, qui touchent beaucoup de nos filières, révèlent une dynamique qui se fissure : ce sont des dizaines de milliers d’emplois impactés, des compétences qui disparaissent, des territoires qui se fragilisent. Entre 1980 et 2017, la France a perdu 2,5 millions d’emplois industriels. Si notre industrie a su stopper temporairement cette hémorragie entre 2017 et 2023, ce retour de la désindustrialisation semble inacceptable !

Dans l’industrie du médicament, secteur stratégique s’il en est, l’alerte est devenue réalité. En 2024, les chiffres montrent un premier décrochage, conséquence de choix politiques déconnectés de la réalité industrielle. La croissance des effectifs, pourtant solide depuis plusieurs années, a été divisée par deux, passant de +2,4 % à +1,1 %. Les embauches en CDI reculent de 10 %, tandis que les licenciements bondissent de 60 %. Et les premiers touchés sont les jeunes : ceux qui auraient dû porter l’innovation, la relève, l’avenir. C’est un signal particulièrement inquiétant pour notre capacité à renouveler nos compétences et à maintenir l’excellence de nos filières.

L’industrie française déjà mise à mal dans sa compétitivité se retrouve aujourd’hui confrontée de surcroit à des enjeux géopolitiques sans précédent.  Une ère où l’industrie n’est plus seulement un secteur économique, mais un instrument d’influence, de puissance et de coercition. Ce basculement touche toutes les filières (le médicament, l’automobile, la sidérurgie, l’énergie, la chimie, l’agroalimentaire…) qui se retrouvent désormais au cœur d’une compétition mondiale féroce. Les États-Unis attirent des volumes d’investissements inédits (plus de 500 Mrds$ dans le seul secteur du médicament depuis le début de l’année) et déploient des politiques protectionnistes, tandis que la Chine, portée par une stratégie industrielle offensive et des financements publics massifs (plus de 300 Mrds$ investis dans la santé digitale depuis 2019), concentre près d’un tiers de l’innovation mondiale et déploie une agressivité commerciale et une hyper-compétitivité qui fragilisent nos capacités de production et recomposent profondément les chaînes de valeur.

Dans le même temps, la dernière édition de Choose France montre que notre pays demeure attractif et capable d’accueillir des projets industriels stratégiques. Mais cette attractivité se heurte à une réalité préoccupante : une volonté politique désormais bridée par des injonctions contradictoires où l’on invoque la réindustrialisation tout en restant enfermé dans une logique budgétaire comptable. À cela s’ajoutent une complexité administrative persistante et une instabilité réglementaire qui freinent les décisions d’investissement. Alors que d’autres pays accélèrent, nous avançons trop lentement, dans une course mondiale qui ne va que s’intensifier.

La production industrielle est un levier majeur de prospérité : elle conditionne notre souveraineté sanitaire et économique, notre cohésion sociale, et la vitalité de nos territoires. La France est aujourd’hui à l’heure des choix.

  • Soit nous continuons sur la voie actuelle, faite d’instabilité et de signaux contradictoires, et nous acceptons de devenir spectateurs d’une bataille mondiale qui se joue sans nous.
  • Soit nous décidons de remettre l’industrie au cœur du projet de la Nation, d’en faire une priorité stratégique française et donc européenne.

C’est pourquoi nous appelons dès maintenant à un sursaut pour éviter que notre industrie ne disparaisse.

  • Un sursaut politique d’abord, qui redonne une impulsion durable, une dynamique claire et une vision de long terme pour notre appareil industriel.
  • Un sursaut collectif ensuite, qui rassemble les industriels, les salariés de nos usines, l’Etat, les territoires et les citoyens autour d’une même ambition : faire de la France un pays qui n’abandonne ni ses savoir-faire, ni sa souveraineté.

Il est encore temps d’agir, mais le temps presse. Ce moment de vérité ne se reproduira pas. À nous tous maintenant d’écrire la suite. »

Thierry Hulot
Président du Leem

Alexandre Saubot
Président de France Industrie